De gauche à droit : Myrna Doumit, Sanchia Aranda, Lisa Kennedy Sheldan, Julia Downing, Stella Aguinaga Bialous, Patsy Yates and Agnes Anarado
Trois éminentes anciennes participantes du Global Nursing Leadership Institute (GNLITM) du CII ont pris part, pour y faire entendre la voix des soins infirmiers, au World Cancer Congress de l'Union internationale de lutte contre le cancer (UICC), qui s’est tenu du 18 au 20 octobre à Genève, en Suisse.
Le professeur Patsy Yates, présidente sortante de l'International Society of Nurses in Cancer Care (ISNCC) et nouvelle codirectrice du GNLI ; le docteur Myrna Doumit, ancienne présidente de l'Ordre des infirmières au Liban ; et le professeur Julia Downing, directrice générale de l'International Children's Palliative Care Network, nous ont accordé un entretien le 20 octobre, avant un colloque consacré au renforcement des capacités de leadership des infirmières en cancérologie pour atteindre les objectifs de la Déclaration mondiale sur le cancer. Le colloque a été présidé par le professeur Yates.
CII : Dites-nous pourquoi et quand vous avez participé au GNLI ?
Patsy : J’ai suivi le GNLI en 2018. J'avais décidé d’y participer car, à l'époque, je venais de prendre la présidence de l'ISNCC et je me demandais comment contribuer au leadership politique dans mon nouveau rôle. L’occasion était donc toute trouvée, car je savais que le GNLI me permettrait de mieux appréhender la politique de santé au sens large, de découvrir d'autres réseaux et de développer mes propres compétences en matière de leadership. Pour moi, cela a été une expérience extraordinaire à tous ces égards. Le GNLI m'a aidée à assumer le rôle de présidente de l'ISNCC et à contribuer à la lutte contre l’une des maladies non transmissibles où les infirmières peuvent vraiment changer les choses.
Julia : J’ai reçu le diplôme du GNLI en 2021. Je travaille avec le réseau international de soins palliatifs pour enfants et suis très active au niveau des politiques et du plaidoyer – je suis d’ailleurs membre du conseil d'administration de l'ISNCC, dont je préside le comité des politiques et du plaidoyer – et il me fallait consolider tout ce travail. En outre, mon action ayant une dimension internationale, je voulais rencontrer des infirmières du monde entier, connaître de nouvelles personnes, nouer des contacts et, si possible, développer des relations sur lesquelles pouvoir m’appuyer à l'avenir. Je préside toujours le comité l'ISNCC et siège également au conseil d'administration de la Worldwide Hospice Palliative Care Alliance et d'autres réseaux mondiaux. J’assiste aussi à l'Assemblée mondiale de la Santé de même qu’au Conseil exécutif de l'OMS, par exemple. Il me fallait donc absolument établir des liens avec d'autres infirmières et en apprendre davantage au sujet des politiques de santé et du plaidoyer, étant donné que je n'avais pas suivi de formation dans ce domaine. En tant qu’infirmière, nous ne sommes pas formées pour ça. Il me fallait donc vraiment consolider cette dimension.
Myrna : Moi aussi j’ai suivi le GNLI en 2021, après mon mandat de présidente de l’Ordre des infirmières et infirmiers au Liban. Pendant ma présidence, le Liban a traversé plusieurs crises et j'appliquais un leadership qui était nouveau pour les infirmières. J'ai travaillé sur les enjeux politiques en mettant l'accent sur la communication, grâce à quoi l'Ordre a pu passer à un niveau supérieur dans les instances décisionnelles. Mais je me demandais sans arrêt : « Est-ce que je ne suis pas en train de me tromper ? » Puis, lorsque j'ai participé au GNLI, j'ai réalisé qu'intuitivement, j’avais fait tout ce qu’il fallait. Le GNLI m’a clarifié les idées et, aujourd’hui, je suis certaine d’avoir appliqué la bonne méthode.
Nous ne pouvons pas intégrer les infirmières aux instances décisionnelles sans formation préalable aux grands enjeux. Pour pouvoir participer aux décisions, nous devons être de bonnes communicatrices, prendre la parole et nous faire entendre. Parce que si nous ne sommes pas là pour nous en occuper, personne ne mentionnera nos préoccupations et nos besoins, nous serons inaudibles. Grâce au GNLI, j'ai rencontré des collègues du monde entier et je dispose maintenant d’un répertoire de noms et d'adresses auxquels je peux m’adresser en cas de besoin.
CII : Quel rôle les infirmières jouent-elles au World Cancer Congress et comment le GNLI vous a-t-il aidé à influencer les débats ?
Patsy : L'UICC joue un rôle important en rassemblant toutes les organisations dans le monde actives dans la lutte contre le cancer, y compris un grand nombre d'organisations non gouvernementales (ONG), ainsi que des groupes de patients et de conseil dans la lutte contre le cancer. Les infirmières n'assument généralement pas de rôle de direction ni de représentation substantielle dans ces organisations. C’est pourquoi nous avons décidé de soumettre une proposition de colloque axé sur le leadership infirmier. L'objectif était de démontrer, au moyen d'études de cas, que les infirmières jouent un rôle moteur dans l'amélioration des résultats de la lutte contre le cancer non seulement au quotidien, sur le lieu de travail, mais aussi au niveau des politiques et des programmes.
C'est l'une des façons dont nous essayons d’agir. Julia a participé à plusieurs autres colloques où elle fait entendre la voix des infirmières sur des questions très importantes, comme les soins palliatifs pour enfants.
Julia : Nous avons participé à deux séances hier [19 octobre]. L'une portait sur l'intégration des soins palliatifs dans les soins contre le cancer. Lors d’un panel, j'ai représenté non seulement les soins palliatifs pédiatriques, mais aussi les infirmières. J'ai pu mettre en avant l'importance leur rôle. Ensuite, nous étions cinq, dont trois infirmières, à la session de l'après-midi consacrée aux soins palliatifs pédiatriques. Là aussi nous avons pu mettre les infirmières autour de la table. Nous avons eu l'occasion de faire entendre la voix des infirmières lors d’autres séances. Nous avons participé à plusieurs réunions avec l’OMS et d’autre instances chargées de questions politiques, pendant lesquelles nous avons pu faire passer les messages des infirmières, ce que je trouve très important.
Mais nous sommes aussi ici pour porter la contestation ! J'ai participé à une séance où tous les membres du panel étaient des hommes, tous des médecins, il n'y avait aucune infirmière ! Je les ai donc interpellés : « Où est la voix des infirmières ? Et celle des femmes ? », ce qui est un autre problème. Ils étaient tous médecins et ce n’était pas vraiment nécessaire, il aurait très bien pu y avoir des infirmières.
Patsy : C'est là que le GNLI nous a donné des cadres et des outils que nous pouvons utiliser pour présenter et plaider pour le renforcement du leadership infirmier et soutenir les infirmières à tous les niveaux. Un programme comme le GNLI nous aide vraiment à développer nos compétences pour nous exprimer en public, présenter des éléments probants et faire passer les bons messages aux décideurs en matière de lutte contre le cancer. Donc, il faut non seulement organiser notre propre colloque, comme nous l’avons fait, mais aussi, comme Julia l'a dit, participer à d’autres séances pour poser des questions et profiter des pauses pour aborder encore d’autres préoccupations.
Myrna : Si je peux ajouter, c'est une réunion vraiment très intéressante. J'apprécie les discussions, mais je suis déçue de ne pas voir d’infirmière oratrice principale en plénière. Je pense que, pendant un congrès international comme celui-ci, tous les organismes infirmiers devraient s'unir et faire pression pour obtenir un ou deux orateurs principaux afin de placer notre profession à ce niveau. Le premier jour, juste après la cérémonie d'ouverture, pendant une plénière, une étude internationale a été présentée dans laquelle on tenait compte de la position du médecin et de l'opinion du patient, mais rien concernant les infirmières. J'ai donc levé la main pour demander : « Et où sont les infirmières ? » Certains patients ne savent ni lire ni écrire, et les infirmières sont les mieux placées pour parler d’eux. Nous avons besoin d'infirmières, pas seulement parce qu'elles sont infirmières, mais parce qu’elles sont avec leurs patients 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Ils ont admis que c'était très juste et se sont excusés. Donc, à chaque séance, à nous d’élever la voix, de mettre la pression et de dire que nous avons besoin que la voix des infirmières soit prise en compte. C’est extrêmement important. Nous avons besoin que les organisations d’infirmières du monde entier travaillent ensemble pour faire entendre notre voix !
Julia : Toutes les trois ici, nous ne perdons aucune occasion de nous manifester ! Nous pouvons nous exprimer, mais, en ce qui me concerne, le fait de participer au GNLI m'a confirmé que ce que je faisais était juste. Il m'a donné un peu plus de confiance dans le fait que, maintenant, je sais ce que je fais, en termes de politique et de plaidoyer.
Patsy : Je pense qu'il est important de construire des alliances. Lors d'une réunion comme celle-ci, où tous les décideurs qui comptent sont présents, nous avons l'occasion de nouer des alliances et d'obtenir de meilleurs résultats.
CII : Pensez-vous que le congrès accorde une plus grande attention aux infirmières, par rapport à avant ?
Patsy : Oui. J’ai participé à plusieurs congrès. C’est toujours très difficile d'obtenir une présence forte des infirmières dans les séances, mais j'ai l'impression qu'il y a plus d'infirmières à différents postes dans les ONG et qu'elles sont plus nombreuses. J'ai aussi l'impression que lorsque nous posons des questions, on nous écoute différemment. Peut-être parce que nous savons mieux nous exprimer. J'ai l'impression que lorsque nous soulevons des problèmes, les gens les reconnaissent. Mais nous avons encore beaucoup de travail à faire.
Julia : J'aimerais que les soins infirmiers soient mieux intégrés dans l'ensemble du congrès. Il faut une infirmière dans tous les panels, pour qu’il ne soit plus nécessaire de demander « Où sont les infirmières ? » Nous sommes juste là !
Myrna : Aujourd'hui, nous avons eu notre colloque et cela souligne vraiment ce que nous répétons : la collaboration nous permet de renforcer notre présence. Nous avons collaboré pour pouvoir organiser ensemble ce colloque. Nous devons collaborer pour nous faire entendre.
Julia : Myrna et moi avons siégé dans plusieurs comités, ensemble. De même, au GNLI, nous étions toutes les deux dans le même groupe régional, cela nous a permis de collaborer davantage.
Myrna : Le GNLI nous a aidé à nouer des relations avec des infirmières du monde entier. Nous savons maintenant que lorsque nous voulons quelque chose, nous pouvons compter sur des collègues. Le GNLI est le dénominateur commun pour nous toutes, le lien qui nous réunit.
CII : Et maintenant, vous allez rentrer et rendre compte aux autres anciennes du GNLI de ce que vous avez accompli ici ?
Myrna : Oui, je fais partie du groupe des anciens du GNLI de la Méditerranée orientale : je vais aller leur faire mon rapport et dire l'importance d'être présent !
Patsy : Nous gardons le lien avec nos groupes au fil des ans de telle sorte que, à long terme, nous avons toujours les groupes régionaux d'anciens et d’anciennes. C'est une excellente occasion de rester en contact avec les participants de différentes volées du GNLI. Pour les anciens participants, le forum devient un outil important pour exercer une influence au niveau régional, en particulier.
Myrna : Cela me rappelle quelque chose que la directrice du GNLI, Diana Mason, a dit : « Les chiffres sont importants mais, pour nous, ce sont nos récits qui rendront la réalité tangible ». Il est donc très important pour nous de mettre nos succès par écrit afin que les gens puissent vivre avec nous ce que nous avons vécu.
CII : Que pouvez-vous nous dire du colloque que vous organisez cet après-midi ?
Patsy : Le colloque traite de la mise en place d'un leadership infirmier pour réaliser les objectifs de développement durable, avec quatre thèmes principaux à développer. Dans l’introduction, nous soulignerons que les infirmières font la différence en matière de prévention, de dépistage et de soins palliatifs, et qu’elles jouent un rôle essentiel dans tous les domaines de la lutte contre le cancer. Myrna peut nous parler du thème de sa présentation.
Myrna : Je parlerai du leadership, en particulier l'importance de mettre en valeur et de développer le leadership dont les infirmières en oncologie ont besoin pour nous aider à atteindre les neuf objectifs de la [Déclaration mondiale sur le cancer]. Sur la base de mon expertise, et après avoir connu toutes ces crises dans mon pays, je vais mettre l'accent sur les compétences clefs que nous devons développer chez nos infirmières, comment elles doivent acquérir ces compétences et où : car on ne peut pas attendre des infirmières qu'elles sachent des choses qu’elles n’ont pas apprises. Pour que nos infirmières deviennent des leaders, nous devons les former. Le leadership peut s’apprendre et se construire au fil des ans.
Patsy : Après la présentation de Myrna, nous aurons celle de Stella Bialous, qui est également une ancienne membre de l'ISNCC. Elle nous parlera du leadership politique. Stella a accompli un très grand travail dans la lutte antitabac au niveau mondial, en particulier sur le rôle des infirmières dans ce domaine. Elle évoquera certains des programmes qu'elle a conçus et comment elle a aidé les infirmières à influencer la lutte antitabac.
Après Stella, notre collègue Agnes Anarado, du Nigéria, nous parlera des nouvelles pratiques infirmières dans la lutte contre le cancer du col de l'utérus ainsi que d’interventions réussies pour les soins du cancer en Afrique. Agnes a dirigé d'importants programmes de dépistage du cancer du col. Notre quatrième intervenante, Mavis Bobbie Ansah, du Ghana, donnera des exemples très pratiques, en tant qu'infirmière-cheffe dans un centre de cancérologie, de la façon dont elle aide les infirmières à renforcer leurs compétences en matière de leadership clinique et à contribuer à l'équipe multidisciplinaire.
Julia : Et, pour conclure, Patsy présentera la prise de position sur le leadership des infirmières en cancérologie que nous venons de rédiger pour l'ISNCC.
CII : Autre chose d'important que vous voulez ajouter ?
Myrna : Je voudrais remercier le CII pour tout le soutien qu'il apporte aux organisations d’infirmières dans le monde entier. Il faut se rappeler que nous ne sommes pas aussi fortes que nous le voudrions au niveau politique, c'est pourquoi nous devons être unies pour porter notre profession là où nous voudrions qu’elle soit.
Patsy : Il est important de dire que nous ne serions pas ici sans les programmes du CII. Moi aussi le remercie le CII, auquel l’ISNCC est officiellement affiliée, une collaboration que nous avons toujours appréciée. Nous avons conscience du fait que le CII dispose de nombreux réseaux, ce qui n’est pas nécessairement notre cas, en tant que groupe spécialisé. Travailler avec Howard [Catton, Directeur général du CII] et d'autres personnes au CII nous a permis d'accomplir davantage que si nous étions restées seules dans notre coin. Le programme d'affiliation au CII d’organisations de spécialistes a été très profitable pour l'ISNCC, je tenais à le souligner.
La déclaration complète de l’ISNCC est à lire ici.
Programme innovant et reconnu, le Global Nursing Leadership Institute™ (GNLI, Institut international du leadership en soins infirmiers) du CII permet aux infirmières de mieux comprendre les enjeux politiques et relatifs aux grandes orientations en matière de santé, et d’exercer une influence sur ces processus. Articulé autour d’opportunités de soins infirmiers dans un mouvement mondial engagé en faveur du développement durable, le GNLI aborde les grands thèmes qui sous-tendent les Objectifs de développement durable des Nations Unies.
Entré dans sa treizième année, le programme du GNLI a évolué pour devenir plus dynamique et s’adapter directement aux nouveaux défis mondiaux en matière de santé. Les anciens participants du programme forment un groupe puissant et influent : présidentes d'associations nationales d'infirmières, membres du conseil d'administration du CII, présidentes et ou directrices d'organisations de santé, ou encore infirmières en chef au niveau du gouvernement.
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