Le Conseil International des Infirmières (CII) a organisé, le 26 janvier 2023, un webinaire consacré à la situation des soins infirmiers dans la région du Pacifique occidental. Quelque 79 participants de 21 pays ont assisté au webinaire, qui a été ouvert par la Présidente du CII, le Dr Pamela Cipriano, et animé par son Directeur général, Howard Catton.
Le Dr Cipriano d’abord présenté les membres du Conseil d’administration du CII présentes, soit la troisième Vice-Présidente, Lian-Hua de la Taiwan Nurses Association, Megumi Teshima, de la Japanese Nursing Association, et Alisi Talatoka Vudiniabola, de la Fiji Nursing Association. Le Dr Cipriano a ensuite décrit le travail du CII l’an dernier, relevant que 2022 avait été une autre année difficile au cours de laquelle les systèmes de santé ont dû lutter pour se remettre du choc de la pandémie et de ses séquelles.
Entre autres sujets, le Dr Cipriano a mentionné :
Le Dr Cipriano a fait savoir qu'elle était toujours membre du groupe de travail des Nations Unies sur la couverture sanitaire universelle (CSU2030). Le groupe présentera son rapport lors d’une réunion de haut niveau des Nations Unies en septembre 2023. Le projet de programme d'action du groupe de travail comprend huit domaines sur lesquels les pays devraient se concentrer pour progresser vers la couverture sanitaire universelle, notamment le leadership politique, ne laisser personne de côté, renforcer le personnel de santé et de soins, adopter l'innovation et les nouveaux modèles de soins, l'égalité des sexes et relier la couverture sanitaire universelle à la sécurité sanitaire.
Le Dr Cipriano a aussi évoqué la nécessité d'une nouvelle « normalité post-pandémique » basée sur les dures leçons apprises depuis trois ans, notamment le fait que les infirmières ne sont pas appréciées à leur juste valeur par les sociétés qu'elles servent. Elle a appelé à un changement, de telle sorte que les infirmières soient appréciées et respectées, et disposent de ressources adéquates, d’une protection contre les préjudices et d’une rémunération juste et équitable.
Le Dr Cipriano a mis en avant deux temps forts en 2023 pour notre profession : d’abord, les célébrations de la Journée internationale des infirmières, à l’occasion desquelles le CII publiera un ensemble de documents de référence, y compris un manifeste pour valoriser, protéger et investir dans les infirmières ; et le Congrès du CII, qui aura lieu en juillet à Montréal, au Canada.
M. Catton a présenté le Directeur associé du CII pour les politiques de soins infirmiers et de santé, David Stewart, représentant du CII pour la région Pacifique occidental ; et, de l’OMS, Eriko Anzai, infirmière responsable pour cette même région.
M. Catton a ensuite donné un aperçu des pénuries de personnel infirmier, citant à cet égard le rapport sur La situation du personnel infirmier dans le monde 2020, dont les estimations tablent sur six millions de personnels infirmiers manquants ; le rapport Ageing Well du CII, qui met en garde contre le départ à la retraite de cinq millions d'infirmières et d’infirmiers d'ici à 2030 ; et l’étude Pérenniser et fidéliser les effectifs en 2022 et au-delà, où le CII souligne que l’« l'effet COVID » pourrait provoquer le départ de deux à trois millions d'infirmières. M. Catton a également mentionné les conclusions de l'Institute for Health Metrics, selon qui la pénurie devrait atteindre 30 millions de personnels infirmiers. Pour le Directeur général du CII, le fait que les infirmières du monde entier manifestent et font grève montre qu'il est impératif d'investir dans les infirmières, de les recruter et de les retenir.
Tous ces éléments, a poursuivi M. Catton, suggèrent que les pénuries de main-d'œuvre constituent désormais la plus grande menace pour la santé mondiale et pour la sécurité des patients. Et, a-t-il souligné, la solution à court terme consistant à recruter des personnels à l’international entraîne des effets négatifs pour les pays « donateurs » à faible revenu.
M. Catton a recommandé les films de la série Caring with Courage, produits par la BBC et le CII, qui montrent quel effet concret les infirmières ont dans le monde entier, la manière dont elles conduisent l’innovation, facilitent l'accès aux soins et améliorent la qualité des services.
M. Catton a aussi rappelé que le Directeur général de l'OMS, le Dr Tedros, avait clairement exprimé son soutien aux infirmières et que la nouvelle responsable des soins infirmiers de l'OMS était en route pour Genève pour commencer son travail. Il a conclu sa présentation en soulignant que si l'investissement dans les soins infirmiers était absolument essentiel, toute amélioration se ferait nécessairement dans un contexte tendu, marqué par des économies en difficulté, par la guerre en Europe, par des populations confrontées à la crise du coût de la vie et par la nécessité absolue de reconstruire nos systèmes de santé.
Le Dr Cipriano a ensuite présenté les orateurs de la région.
Directrice générale de l'Australian College of Nursing (ACN), Kylie Ward a indiqué que les demandes d'inscription dans les écoles d'infirmières en Australie avaient diminué et que certaines infirmières quittaient leur emploi à temps plein pour travailler à temps partiel. Le gouvernement australien a adopté une loi qui impose la présence d'une infirmière à chaque quart de travail dans le secteur des soins aux personnes âgées, ce qui a eu pour effet de retirer des infirmières d'autres secteurs. L'ACN travaille également sur l'éthique des migrations internationales et souhaite fidéliser le personnel existant. L'association demande que les infirmières aient accès au financement de Medicare pour les soins de santé primaires – une question politique brûlante. Enfin, l'immensité du territoire australien entraîne une inégalité d’accès aux services de santé au détriment des zones rurales et éloignées, un problème qui doit être résolu.
Pour sa part, Filomena Talawadua, Secrétaire générale de la Fiji Nursing Association (FNA), a déclaré que les Fidji, archipel de plus de 300 îles, voyaient leurs 4000 infirmières partir « en masse ». La FNA est en discussion avec le nouveau gouvernement au sujet d’indemnités non payées et de la faible présence des infirmières aux postes décisionnels. Les infirmières représentent 62% de la main-d'œuvre de santé mais on assiste à une « fuite des cerveaux » en raison de l’émigration. « Nous perdons nos cadres intermédiaires et nos infirmières expérimentées, qui s’en vont trouver en Australie de meilleurs salaires et un meilleur cadre de travail. » La FNA a été obligée de s’adresser aux médias pour faire part des doléances des infirmières, le gouvernement précédent n'ayant pas répondu à sa demande de discussion. Le nouveau gouvernement a toutefois invité la FNA à discuter de la pénurie de personnel.
La vice-présidente de la Taiwan Nurses Association (TWNA), Li-Chi Chung, a déclaré que son pays connaissait lui aussi des pénuries d'infirmières, pénuries qui ont été particulièrement visibles pendant la pandémie. Les infirmières taïwanaises doivent suivre une formation continue pour améliorer leurs compétences cliniques et renforcer la profession. Le gouvernement a décidé de s’attaquer au problème des ratios infirmières-patients. Le ministre de la santé et des affaires sociales a invité la TWNA à discuter de cette question. Les infirmières demandent un taux réglementé de patients par infirmière, pour chaque équipe et dans chaque hôpital. La TWNA demande aussi des ratios imposés dans les zones rurales et davantage d’infirmières praticiennes dans les autres îles de l’archipel, pour améliorer l'accès aux soins. La TWNA travaille avec le gouvernement pour augmenter les effectifs, retenir les infirmières dans la pratique clinique et élever leur niveau de formation afin de garantir une meilleure sécurité aux patients.
La présidente de la Japanese Nurses Association (JNA), Toshiko Fukui, a insisté sur l’importance vitale de garder la main-d'œuvre infirmière existante. Les salaires des infirmières en début de carrière sont plus élevés que ceux de toutes les autres professions, mais leur rémunération chute lorsqu'elles atteignent la trentaine et, la quarantaine venue, l'écart salarial est important par rapport aux autres secteurs. Malgré une revalorisation des salaires infirmiers pendant la pandémie et une autre augmentation (de 12 000 yens, soit 92 dollars, par mois) en février 2022, de nombreuses infirmières disent que leur rémunération n'est pas à la hauteur de leurs responsabilités. En décembre 2022, le ministère de la santé a introduit un mécanisme d’adaptation des salaires, un premier pas important selon la JNA. Celle-ci s'engage aussi en faveur de la formation des infirmières. Davantage d'entre elles vont à l'université, ce qui fait que les diplômées universitaires sont, pour la première fois, majoritaires parmi les infirmières nouvellement enregistrées.
Abidah Yasin, vice-présidente de la Malaysian Nurses Association (MNA, Malaisie), a déclaré que son pays était en train de créer un conseil des soins infirmiers chargé de modifier la loi sur les soins infirmiers afin que les infirmières puissent participer aux prises de décision sur les grandes orientations. Fin 2022, la loi sur l'emploi a été amendée de telle sorte que les personnels infirmiers du secteur privé voient leurs horaires réduits à 45 heures de travail par semaine, leur congé de maternité prolongé à 98 jours et leur congé de paternité à sept jours. En Malaisie, le niveau d'entrée dans la profession est fixé au diplôme ; cependant, le ministère de la santé est en train d’augmenter le nombre d'infirmières formées à l’université.
La présidente (Kaiwhakhaere) de la New Zealand Nurses Organisation (NZNO), Kerri Nuku, a déclaré qu'au cours de l'année écoulée, le système de santé néo-zélandais avait subi une transformation, des réformes ayant été introduites pour éliminer les inégalités et améliorer la couverture sanitaire. Des changements systémiques ont permis de placer les vingt anciennes autorités sanitaires sous l’égide d’une organisation unique, pour qu'elles travaillent plus efficacement, comme un système unifié. Le ministère de la santé, l'autorité de santé et l'autorité de santé maorie reconnaissent désormais qu’il faut en faire davantage pour les populations autochtones de Nouvelle-Zélande, qui souffrent d’une espérance de vie plus courte, d’un accès limité aux services et des effets disproportionnés de la COVID-19. Cette situation est considérée comme une crise humanitaire. Les infirmières autochtones ont demandé au gouvernement de créer un système de santé qui réponde aux besoins des populations autochtones. Les infirmières ont collectivement interpellé les autorités sur l'importance de faire entendre la voix des peuples et des infirmières autochtones. Les infirmières qui choisissent de travailler avec les populations autochtones sont payées 25 % de moins que leurs collègues.
Questions et réponses
Une question a porté sur l’obtention du visa pour entrer au Canada, où se déroulera le Congrès du CII. M. Catton a indiqué que le site web du Congrès du CII contenait des renseignements sur les demandes de visa et sur la façon d'obtenir les lettres d’invitation du CII. Il a vivement recommandé aux personnes intéressées de demander leur visa aussi tôt que possible.
Une deuxième question a porté sur la manière dont les membres du CII peuvent collaborer pour inscrire les ratios infirmières-patients dans la loi.
Le Dr Cipriano a répondu que les infirmières devaient exercer des pressions afin d’obtenir les effectifs dont elles ont besoin pour prodiguer des soins sûrs et efficaces. Un débat sur cette question importante aura lieu lors du Conseil des représentantes d’associations nationales d’infirmières (CNR) à Montréal, en juin.
M. Catton a attiré l'attention sur la prise de position du CII qui montre l'importance de mécanismes garantissant une dotation en personnel infirmier sûre. Le contexte de chaque pays étant différent, le CII ne peut proposer de modèle unique, mais il est important d'avoir des mécanismes en place. Une autre étude (White Paper on Safe Staffing) présente les initiatives de plusieurs pays dans ce domaine. Le CII avait plaidé pour l’institution de la Journée mondiale de la sécurité des patients, laquelle porte désormais aussi sur la sécurité des travailleurs de santé et sur les niveaux de dotation sûrs. Une réunion ministérielle internationale aura lieu plus tard cette année sur le même sujet, à laquelle le CII participera.
David Stewart a déclaré que le CII travaillait en étroite collaboration avec le responsable de la sécurité des patients à l'OMS et qu'une séance du Congrès porterait sur cette question, sur la base d’enseignements tirés d’expériences nationales. Il a ajouté que le White Paper déjà mentionné faisait état de ratios sûrs dans plusieurs secteurs, pas uniquement dans les soins aigus.
Alisi Talatoka Vudiniabola, des Fidji, a estimé que l’adoption de lois était le seul moyen de garantir la sécurité, la protection du personnel et la rétention des compétences. La plupart des hôpitaux comptent sur de nouveaux diplômés en soins infirmiers dont le niveau de compétences est parfois faible. Elle a estimé que cette question devait absolument être réglée par les lois et que ces lois devaient aussi porter sur les compétences. « Plaidoyer, réunions, littérature et discussions – tout cela ne changera rien dans le Pacifique à l'heure actuelle », a insisté l’intervenante.
M. Catton a dit que lorsque les personnels infirmiers sont en grève, ils veillent à ce qu'il y ait suffisamment de collègues en service pour garantir la sécurité des patients. Mais, a-t-il ajouté, le CII est informé que les niveaux de dotation en personnel les jours de grève sont parfois proches des niveaux normaux, ce qui démontre l'inadéquation des niveaux de dotation dits « sûrs ».
Sur un autre sujet, Mme Fukui a signalé que le Japon manquait d’infirmières pour soigner les patients âgés, dont le nombre augmente. Selon elle, des solutions technologiques innovantes pourraient apporter certaines réponses aux besoins complexes des personnes âgées en matière de soins.
Le Dr Cipriano s’est dite impressionnée par les moyens techniques déployés par les soins infirmiers au Japon. Elle a recommandé une autre vidéo, qui présente un excellent exemple d'utilisation des technologies dans ce pays.
Conclusion
M. Catton s’est dit frappé par les progrès et les innovations réalisés par ses collègues. Il a ajouté que le Forum asiatique de la main-d’oeuvre du CII, qui se tiendra en mars à Bangkok, sera l'occasion de reparler de toutes ces questions. Le Dr Cipriano a dit avoir apprécié d'être en contact avec les ANI de la région du Pacifique occidental et que cela aiderait le CII à comprendre ce qu’il se passe sur le terrain.